La lueur d'une Chaumière... [25/06/2008]

Malgré son piteux état, Simon ne se laissa pas aller à ses pulsions lui dictant de s’abriter sans attendre de la pluie qui lui glaçait les os. La lumière prouvait bien que quelqu’un les attendait à l’intérieur, et pas forcément un banal ressuscité…
"C’est de cette maison que vous arriviez, tout à l’heure ?"
La lumière était étonnamment constante. Simon n’avait connu que la lueur vacillante du feu, et le seul éclairage ininterrompu à sa connaissance était celui des astres.
"Vous… A part nous et Oscuriel, est-ce qu’il y a d’autres –il hésita un instant– êtres par ici ?"
Des saccades de douleur vive et acide remontaient par moments de sa cheville, lui faisant ressentir plus que jamais à quel point cet au-delà restait purement matériel, et étonnamment proche de la réalité terrestre…

Voyant que rien n’avait suivi l’ouverture de la porte, à l’exception d’une mélopée envoûtante, Simon s’approcha du seuil… Au fond de la pièce trônait un gramophone étrangement dénué de poussière, pointant gracieusement comme un liseron.
*Cet objet… Mais… C’est de lui que provient la musique !*
Simon eût peur. Cela peut paraître étrange, mais la vue de ce simple tourne-disque le tétanisa, et la surprise passée, l’impressionna bien plus qu’Oscuriel lui-même… Après tout, il avait passé sa vie dans les récits de miracles et d’auras divines ; il était en quelque sorte préparé à la sensation que procurait la présence d’un être supérieur. Mais cet objet semblant doué d’une demi-vie, absurde chimère, hybride fongiforme, végétal, minéral, et même animal par son chant, bouscula violemment son sens commun.
« Qu-qu’est ce que c’est que cette chose ? »

Simon ne prêta pas attention à la porte que le vent venait de claquer dans son dos. Il essora sa chevelure trempée, s'ébroua, et s'avança, lentement, jusqu'à quelques mètres du gramophone. Précautionneusement, avec méfiance, il tendit sa béquille vers le plateau du tourne-disque, et le frôla. Un scratch déchirant retentit, et Simon recula vivement jusqu'au mur, non sans utiliser sa cheville invalide. La souffrance lui arracha une plainte, tandis que les violons continuaient de jouer...
Voyant que rien ne s'était produit, Simon retenta son expérience, prolongeant cette-fois-ci son appui... Dans un grincement, les violons se turent. Puis repartirent de plus belle quand Simon releva sa béquille... Il tenta un nouveau contact, commençant enfin à saisir le principe, mais heurta la tête de lecture. Le disque poursuivit sa course circulaire, dans le vide…

Pendant ce temps là, Karn semblait s’intéresser à la source de l’étrange clarté dans laquelle ils baignaient… Simon, le laissant faire, s'attarda donc sur l'étrange objet devenu muet. Au toucher, le cornet n'avait, contrairement à ses attentes, pas grand chose d'une fleur ou d'un champignon. Apparemment rien de magique ou de miraculeux, tout semblait mécanique. Cet objet aurait certainement pu exister sur terre. La vitesse du disque diminuait peu à peu… Simon plaqua quelques secondes la surface du disque, et le mouvement cessa complètement.
"C'est la machine la plus précise que j'aie jamais vue…"
Il souleva le gramophone du sol, l'emporta (avec difficulté, étant donné son handicap) dans un coin de la piéce, pour s'y asseoir confortablement, et le retourna avec précaution... Le disque tomba sur le sol poussiéreux, faisant sonner le cornet au passage. Simon remonta la manivelle, fit pivoter le pavillon, la tête de lecture, replaça le disque, tourna la manivelle à nouveau, et petit à petit il se familiarisa avec l'appareil. Il parvint à réenclencher la musique, sombre et mélancolique… Puis après avoir joué un petit moment a faire tourner le disque plus ou moins vite dans un sens ou dans l'autre, il eut l'idée de passer l'autre face…

La musique sombre et mélancolique qui planait jusqu'alors s'interrompit pour laisser place à une autre mélodie...
La musique laissait toujours percer une pointe de mélancolie, mais elle vous étreignait le coeur d'un nouvel espoir, et tout semblait moins fade.

Karn monta les escaliers, laissant seul son compagnon...
En face de lui, un porte entrebâille dont semblait provenir la lueur. A sa droite, le couloir se terminait sur une porte en mauvais état. Le couloir faisait un angle droit à sa gauche, et continuait, parallèle à l'escalier. La rambarde semblait branlante. Cette deuxième partie du couloir comportait trois portes.

[HRP] Lien pour la musique à présent diffusée dans la maison.
http://www.badongo.com/audio/10196660
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Simon, eût, une fois la porte ouverte, la vision de la silhouette de Karn se découpant au centre d’un ovale de clarté lactescente. Il ne fut ébloui qu’un court instant, la lumière étant plutôt douce... Il s’approcha lentement et prit place aux cotés du démon dans l’encadrement de la porte, un peu en retrait malgré tout...
*Tout ceci est totalement incohérent.*
Simon ne pouvait concevoir l’au-delà que comme un lieu qui soit parfaitement homogène. Un lieu dont tous les éléments, égaux, aient chacun leur place. Un lieu doté d’un sens, d’une logique absolue, pure et évidente, servie par tout ce qui s’y trouvait.
Sur cette île, il était allé d'absurdité en absurdité...
Il y avait un cimetière ou apparaissaient de manière aléatoire des êtres de provenances diverses, il y avait un ange-chat vêtu de blanc apparaissant sans raison là où ça lui chantait et craignant la pluie, il y avait un appareil à musique qui semblait les avoir attendu des années, posé sur le plancher, et puis il y avait cette poche de lumière flottante, exhalant une vie, une magie d’une nature toute autre que celle d’Oscuriel ou du phonographe... Un monde des morts totalement hétéroclite, chaotique, patchwork d’événements surnaturels semblant piochés dans différentes mythologies sans aucun rapport...

Après avoir mis de coté son passé, Simon renonça à son futur. Il cessa d'attendre le jugement dernier, l'explication, l'apparition du Créateur en personne, le bilan de son existence, la mention "admis au Paradis", bref, ce qu'il avait toujours cru être les conséquences normales de la mort. Peu importait quels miracles surviendraient, il en avait marre de courir après la vérité. Sa vie continuait, tout aussi complexe et désordonnée, toujours sans but. Et il l'accepta.

"Cette chose a l'air dangereuse."
Simon se pencha lentement dans la pièce, sans quitter l'ovale des yeux, tendit son bras et ramassa tous les vêtements qui étaient à sa portée.
"Faites ce que vous voulez, mais moi je n'y touche pas. Je vais me changer, je suis trempé et plein de boue."
Sur ce, les bras chargés de vieilles étoffes, il boita jusqu'au coude formé par le couloir, et ainsi à l'abri du regard de Karn, se revêtit d'une robe rouge et d'un lourd manteau vert.

Simon sentit soudain comme une décharge électrique à travers le mur, et eût l’impression de recevoir une poussée dans le dos. La musique du phonographe, laissé devant la porte, s’était arrêtée. Il se précipita aussi vite que son handicap le lui permettait dans la pièce, où l’étrange phénomène avait redoublé d’intensité...
"Qu'est ce que vous avez fait ? Vous lui avez lancé quelque chose ? Vous l'avez touchée ?"
La décharge avait sorti Simon de la légère torpeur dans laquelle il s'était embourbé. L'ovale lui faisait franchement peur, à présent, et pendant un infime instant il se surprit à le contempler, hypnotisé. Mais une salve de douleur lui parvint de sa cheville, le ramenant à la réalité, et renforçant la frayeur purement animale que lui causait l'ellipse. Simon se plaqua contre le mur, se sentant encore trop proche de cette entité impassible et sans point faible…
"On dirait bien qu'elle est vivante. Elle s'est défendue, comme un animal qu'on agresse... Ça me surprendrait qu'elle soit intelligente."
*Mais pourquoi je l'appelle "elle" ? Elle n'a rien de féminin…*
Simon remarqua, alors qu'il avait atteint l'autre coté de la piéce, la page d’où semblait sortir l'ovale, seul objet de la salle qui n'avait pas bougé.
"Regardez : elle vient de cette feuille…"
Simon désigna la page du doigt.

*On dirait qu'il n'arrive pas à bouger...*
Pour la première fois depuis sa mort, Simon se retrouvait en situation d'aider quelqu'un. Il fut pris d'une profonde compassion, et sa fibre essénienne se ranima, mais il avait tout juste assez de discernement pour comprendre que Karn n'avait pas le même genre de rapports humains que les paysans judéens... De plus, la paralysie du semi-démon ne paraissait pas destinée à durer. Il n'osa donc pas lui porter assistance.
Il reporta, l'esprit un peu confus, ses bons sentiments sur l'ovale de lumière flottante.

"Nous devrions partir et la laisser tranquille."
*Nous devrions tuer cette chose.*
"Elle n'a fait que se défendre."
*C'est un être monstrueux, absurde, mécanique, sans aucun sentiment, qui a essayé de tuer Kern.*
"On n'a pas la moindre idée de la manière dont elle vit, cette page peut signifier n'importe quoi, rien ne dit que c'est sa racine."
*C'EST sa racine, c'est évident.*
"Partons."
*On ne peut pas laisser ça en vie.*
Sans esquisser un geste qui aille dans le sens de ses paroles, Simon se mit à quatre pattes, et ne quittant pas l'ovale des yeux un instant malgré la clarté éblouissante, avança, prudemment, sans geste précipité, jusqu'au centre de la pièce. Sa gorge était sèche, et son cœur s'emballait; il était comme un lièvre ébloui par les phares d'une voiture. Lentement, il tendit son bras vers la feuille…
D'un mouvement brusque, il en prit le coin entre son pouce et son index et, compulsivement, l'expulsa, comme on lance un frisbee, en direction de l'armoire.

La page glissa purement et simplement des doigts de Simon, comme accrochée à son emplacement.
Il s’était préparé au soulagement d’être éloigné de la chose, et ce n’était que dans cette perspective qu’il avait trouvé le courage de s’en approcher... Mais l’ovale trônait toujours, immuable, et Simon fut parcouru d’un frisson. Il recula aussi vite qu’il en était capable.
"Impossible de déplacer la feuille. Euh... Partons...
Vous... pouvez vous relever ?"

« On dirait que ça ne fait rien de s’en prendre à cette feuille… On ne devrait pas prendre plus de risque inutile, ça à l’air dangereux. Éloignons-nous tout de même de cette demeure au cas ou cette chose aurait une conscience et voudrait nous tuer… »
*Partir de la maison ? De la pièce, oui, mais dehors il pleut toujours... Et je suis fatigué, et j’ai faim…Pour le moment, on ne dirait pas qu’elle ait l’intention de se déplacer. Mais vu ce qu’elle a fait à travers le mur…*
Tout en réfléchissant, Simon s’était empressé de boiter jusqu’à la sortie où il put enfin récupérer sa béquille de fortune. Le phonographe tournait encore faiblement, dans le vide… Simon s’en désintéressa, ne se sentant d’humeur à écouter aucune des deux musiques, et ferma la porte. Ce fut un soulagement. Elevant la voix pour se faire entendre de Karn, déjà presque au pied des escaliers, Simon dit
"Je vais quand même voir dans les autres pièces."
*Aucune chance qu'il y ait à manger...*
Il s'avança donc dans le couloir, et vérifia chacune des trois portes qui suivaient le coude...

Karn entendit les paroles de Simon et haussa également la voix pour se faire entendre.

« Faites-vous plaisir ! »

Il s’approcha de la porte, toujours en boitant.

* Il faut que je continue de chercher ce chat, il n’a pas l’air d’être ici après tout… *

Karn regarda la porte s’ouvrir doucement et il haussa de nouveau la voix pour se faire entendre de Simon.

« Hé ! Quelqu’un entre ! »

Il resta face à la porte, se demandant qui allait entrer. Très vite il reconnut la silhouette, qui ne lui était pas inconnu.

« Tiens, t’a réussi à sortir de cette ville bizarre ? »

Il afficha un sourire rassurant, comme il avait l’habitude de faire en sa compagnie pour éviter qu’elle soit effrayée.


[Hrp : Je ne savais pas si je devais poster dans notre topic ou dans le vôtre, j’ai quand même posté dans le nôtre, dites-moi quoi si on change de topic ^^.]

[HRP] je dirais que c'est bien là, vu qu'on rentre dans la maison ^^ [/HRP]

C'est... C'était.... Karn ! il... Il était vivant... tout bien, comme avant... et il avait toujours son sourire sympathique, qui ressemblait un peu à celui de ceux qu'elle aimait. Oh, il était là, en chair et en os, Karn... le vrai...
Tetanisée par la surprise, la gamine était restée immobile à la porte, les yeux fixés sur lui. Vu par les autres, ça ressemblait plutôt à de la peur ou je ne sais quoi s'en approchant, pas de la simple surprise. Sur son visage, une expression étrange, un mélange de stupeur et... d'autre chose, d'indéterminable. Elle ressemblait plus à une souris hypnotisée par un serpent qu'à une gamine soulagée de retrouver ce qu'elle connaissait.

Alors, brisant tout ce qu'elle avait involontairement construit jusque là, relachant par la même occasion la pression qui s'était accumulée lors de son "absence", elle lacha la porte et se précipita vers le demi-démon en s'écriant :

" KARN ! "

Elle s'accrocha comme elle put à lui, et le serra dans ses bras. Elle n'aurait jamais du le lâcher dans ce bar bizarre... Mais si seulement ils n'avaient pas fait une entrée remarquée... Maintenant qu'elle l'avait trouvé, elle ne le quitterait plus, c'était décidé. Mais qu'en dirait Le Couteau ? Il était capable de lui faire du mal, beaucoup de mal. Il pouvait même le tuer, c'était évident. Si son Maître entrait en conflit avec Karn, que ferait-elle ? Qui suivrait-elle ?

C'était des questions trop compliquées pour une gamine comme elle, même si, techniquement, elle avait passé cet âge depuis bien longtemps. Arrêter de grandir avait été sa façon de fuir l'affreuse réalité...
Elle verrait bien en temps voulu ce qu'elle ferait. Elle avait le temps. Pour le moment, elle était avec Karn, et c'était ça qui comptait. Elle bailla.